Catégories / Rapport / Exploitation sexuelle de mineur·e·s | Étude : témoignages de professionnel·le·s du terrain
Combien de mineur·e·s sont exploité·e·s à des fins sexuelles en Fédération Wallonie Bruxelles ? Aussi incroyable que cela puisse paraitre, il n’existe pas de statistiques fiables car pas d’outils de recensement systématique des cas. Ce 10 mars 2023, l’association ECPAT Belgique, en collaboration avec Défense des enfants international (DEI) Belgique publie une étude d’ampleur qui donne la voix aux travailleurs·euses de première ligne sur la thématique de l’exploitation sexuelle des mineur·e·s. 58 professionnel·le·s des secteurs associatifs et institutionnels (associations de terrain, police, Justice, Aide à la jeunesse…) ont témoigné lors d’entretiens et de focus groupes. En complément, 81 travailleurs·euses de centre psycho-médicaux-sociaux (PMS), de planning familial et de centres de prises en charge de violences sexuelles (CPVS) ont répondu à des questionnaires en ligne.
Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), dans les pays à haut revenu, 72% des cas d’exploitation de mineur·e·s seraient des cas d’exploitation sexuelle.[1] Si ces chiffres sont alarmants, les statistiques officielles en Fédération Wallonie Bruxelles sont absolument incomplètes, du fait de la nature opaque des pratiques, mais aussi du manque de priorisation des autorités à investir les moyens nécessaires pour mieux les comprendre. Plusieurs indices issus des constats de terrain permettent pourtant de dire que les quelques données existantes ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, et que le phénomène est en augmentation. Parmi les participant·e·s qui ont répondu au questionnaire en ligne, près de la moitié pensent avoir déjà fait face à des cas d’exploitation sexuelle de mineur·e·s dans leurs organismes.
Parmi les participant·e·s ayant répondu au questionnaire en ligne, une grande majorité (66%) des travailleurs·euses interrogé·e·s ne se sentent pas capables de détecter un cas d’exploitation sexuelle parmi les mineur·e·s qu’ils·elles accompagnent et plus encore (77%) ne savent pas quelles démarches entreprendre le cas échéant. Par ailleurs, plus de trois quart (86%) des personnes interrogées ont répondu ne pas disposer de moyens ni d’outils de recensement au sein de leur organisme.
« Nous sommes dépourvu·e·s au niveau des outils, que ce soit pour nos équipes ou bien nos victimes qui sont parfois aussi des auteur·trices. » - Centre d’accueil
Les professionnel·les consulté·e·s s’accordent pour dire qu’il n’existe pas de « profil type » du/de la mineur·e sexuellement exploité·e : tous les genres, orientations sexuelles, classes sociales sont concernés. La plupart des cas recensés concernent des filles mais les garçons et mineur·e·s LGBTQIA+ victimes ne sont probablement pas suffisamment détecté·e·s. Selon les répondant·e·s, les mineur·e·s étranger·e·s sont particulièrement vulnérables et d’autant plus exposé·e·s aux risques d’exploitation sexuelle depuis la crise de l’accueil.
« Ce sont de jeunes (…) qui sont violés ou violeurs. En individuel ou en groupe. Souvent lié au remboursement du parcours migratoire, sorte de chantage. Ils font aussi pression sur les familles (…), en envoyant des vidéos de violences via les réseaux sociaux pour qu’ils envoient de l’argent. » - Centre d’accueil, au sujet de garçons
Les professionnel·le·s indiquent aussi que les victimes sont de plus en plus jeunes, en général de 12 à 16 ans, avec des cas récents de très jeunes filles à partir de 11 ans.
« Ici, on est avec des jeunes filles qui sont de la préadolescence, mais qui ont déjà un bagage assez lourd. Et les appels qu'on a pour ce genre de public, c'est de plus en plus jeune. » - Association d’accueil de mineur·e·s
La crise du Covid-19 et les mesures qui ont été prises ont précarisé et isolé de nombreux·euses mineur·e·s. Depuis, les risques d’exploitation sexuelle ont augmenté et sont devenus de moins en moins visibles, car le recrutement se fait davantage via les réseaux sociaux.
« Pendant le Covid, le problème principal a été le développement de contenu pédopornographique, des nudes envoyés sur les réseaux, puis un engrenage. Tellement de jeunes livré·e·s à eux·elles-mêmes. L’accès au net était le seul truc qui leur restait, dont diffuser et vendre des photos ou vidéos. » - Focus groupe de la police
« Snapchat, Instagram, TikTok… oui, elles sont approchées comme ça, elles discutent avec le garçon qui va séduire. »,- Focus groupe de la société civile
Certain·e·s mineur·e·s sont manipulé·e·s et adoptent alors un discours de banalisation de la prostitution, avec l’impression qu’ils·elles contrôlent leurs pratiques… Ce qui rend leur accompagnement particulièrement compliqué.
« Elles disent qu’elles gèrent, certaines exagèrent leurs actes sexuels, sont dans la provocation dans leur vocabulaire, elles sont dans la recherche d’attention avec nous. » - centre d’accompagnement non mandaté
« Et puis il y a des fois où c’est beaucoup moins défini que ça et même pour elles la notion de consentement n’est pas claire : ‘J’étais en fugue, il nous a donné à manger, bah je devais coucher.‘ » - centre d’accompagnement non mandaté
Sur base de ces constats de terrain particulièrement alarmants, ECPAT Belgique et DEI Belgique recommandent en priorité :
L’étude complète sera disponible sur www.ecpat.be et www.dei-belgique.be vendredi 10 mars 2023.
Cette étude a été financée par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a mandaté EPCAT Belgique et DEI Belgique comme experts indépendants.